Histoire des luttes paysannes, ou comment les paysans sont devenus propriétaires de leurs terres.
Suite à l’intervention
de Joseph Louazel sur l’histoire des luttes paysannes.
Retour en arrière ; la
vie rurale au temps de nos aïeux semblait rude. Mais d’où vient
cette
nostalgie que l’on
ressent auprès du discours de nos grands parents ? On nous confie
des
ambiances conviviales, de
la solidarité, un équilibre de vie suivant les rythmes des saisons.
Est-ce une vie rude par
manque de confort ou plutôt vis-à-vis du confort qui nous a formaté
aujourd’hui ?
Revenons plus loin encore, au moment de la Révolution Française. Les terres, les exploitations, appartenaient aux nobles ou à l’Eglise. Les fermiers travaillaient la terre pour survivre (agriculture vivrière), mais surtout au profit de leurs propriétaires, qui en fait les exploitaient.
La révolution bourgeoise
avait dépossédé la royauté de ses terres, qui contraint par
l’endettement à du mettre en vente son bien ou plutôt le bien de
tous. Seul (ou presque) la bourgeoisie en est devenu propriétaire.
A la lecture d’un
titre de notaire des ancêtres de Josèphe Louazel (1817) on imagine
bien la vie du fermier. Il doit tout au noble, au risque de se voire
délogé s’il déroge aux conditions du bail (partage des récoltes,
mise à disposition d’un jardinier pour entretenir le jardin de la
propriété...).
De 1844 à 1848 c’est
la 2ème république. Puis après Napoléon 3, sonne en 1870 la
naissance
de la 3ème république.
Le monde paysan y gagne un grand changement. L’école est
obligatoire et les «
culs terreux » jouissent de la possibilité de s’instruire.
Apprendre à lire et
compter représente la
possibilité de se défendre un peu mieux face à la bourgeoisie et
aux
notables.
En 1880, le monde paysan
obtient le droit de créer des syndicats pour se défendre. Mais à
cette époque, c’est toujours un noble qui prendra le pouvoir de
ces syndicats. Le seul à pouvoir se présenter à des élections.
Puis les Nobles se lancent dans l’industrie et cherche à se
désengager
du monde agricole pour
investir le monde ouvrier. Ils mettent en vente leurs terres et les
paysans les achètent pour devenir enfin maitre de leur outil de
travail.
Les grandes heures de la
mécanisation agricole se mettent à défiler...
Le monde paysan maitrise bien et depuis toujours son auto suffisance alimentaire. C’est ce qui lui a permis de survivre aux grandes guerres notamment à celle de 1914. Ce savoir ancestral permet à la population rurale de survivre et d’affronter la crise économique qui gagne le pays.
Après 1914, le monde
paysan demande à prendre les rennes aux représentations de leurs
syndicats. Ce n’est pas à la noblesse de représenter la société
des travailleurs ruraux ! Les communistes créés le syndicat des «
paysans travailleurs ». Des écoles du soir sont organisées...
les premières « écoles paysannes » !
En 1920 la question des
Office Foncier est pour la première fois posée. Bien appuyé par
les communistes, le projet n'aboutit pourtant pas.
Les paysans sont contre
du fait de l’ambivalence des communistes qui prônent la
collectivité
des terres pour les «
gros » et pas pour les « petits ». Mais qui est « gros », qui
est « petit » ?
De jeunes curées
prennent aussi la défense des paysans. L’Abbé Mancel (mort dans
la misère à Bain de Bretagne dans les années 40 ; abandonné par
l'Eglise), a été l’un des pionniers dans notre région. L’évêché
ne voit pas d’un bon oeil ce lien trop établit par ce petit curé
et les paysans hors de l’Eglise. L’évêque Laroche de Rennes
essayera de diviser ce petit mouvement en mutant régulièrement le
petit curé pour l'éloigner de ses sympathisants. Mais cela fit
l’effet inverse. Cette dispersion contamina tous le pays de la
prêche du petit curé qui baladé de paroisse en paroisse... balada
son discourt.
La même histoire fit
boule de neige dans le monde ouvrier...
On peut y voir les
prémices de ce que l’on appellera plus tard la JAC... (Jeunesse
agricole
catholique)
Dans les années 30, la
crise intervient dans le pays avec les politiques de colonisation.
En effet, si la France pose le pied en Algérie, elle revient au
pays avec le vin des chaudes terres nord africaines. Ce qui fera
chuter le court et engendrera la faillite de certains vignobles
français...
L’économie du pays
avec le profit engendré par la colonisation augmente, mais les
revenus des paysans baissent !
1920 à 1940 voit la naissance de nombreux syndicats d’idéologie soit bourgeoise, soit catholique soit communiste. Difficile pour le paysan de faire un choix. On ne peut être ni contre son propriétaire et ni contre … l’Eglise !
1936, arrivé des
congés payés avec Léon Blum au pouvoir en France. Pour les
paysans c’est aussi l’entrée en vigueur des Offices du Blé !
Le blé se vend mal à
cette époque et l’Etat par ces Offices, organise le stockage du
blé et le prix garantit pour le cultivateur !
Dans la foulé, pourquoi
ne pas lancer les « Offices Fonciers » ... mais la guerre
intervient et stop une nouvelle fois l’emballement sur ce projet.
En 1940 il y a donc
plusieurs courants syndicaux. Pétain prend le pouvoir du pays il
dissout les syndicats et regroupe toute l’agriculture dans ce
qu’on appelle la corporation.
De Gaule prend le
pouvoir en 1944. Il choisit Tanguy Prigent comme ministre de
l’agriculture. Prigent est issu du milieu « paysan travailleur
»... un homme de gauche. De Gaule ne peut pas piffrer la droite
paysanne qui a organisé de gré ou de force les réquisitions
alimentaires pour l’occupant. Avec ce ministre de gauche il
supprime la corporation.
Ils mettent en place la
CGA (confédération générale de l’agriculture) qui représente
l’ensemble de l’agriculture par branche composé de la FNSEA, de
la MSA et des coopératives.
Le Ministre Prigent
prend donc les commandes et relance l’idée des Offices Fonciers.
La encore il faut attendre...
Mais il réussit tout de
même à mettre en place le « statut du Fermage », grand
soulagement pour le monde paysan. Pour la première fois les paysans
ne pourrons plus être mis à la porte par leur propriétaire. C’est
la fin des privilèges pour la noblesse !!
La fnsea avec Blondel à
sa tête va progressivement reprendre en main toutes les
organisations agricoles et la CGA sera vidé de ses objectifs et
disparaitra au profit de la Fnsea.
La JAC se développe
dans le monde rural et améliore la vie et l’état d’esprit du
monde agricole. Certains jeunes cherchent même à prendre du
pouvoir à la FNSEA...
Blondel et la FNSEA
contre attaque et créée les syndicats JA pour fermer le clapet de
ses jeunes qu’il juge... un peut trop révolutionnaires... il
faudra passer par la case JA et attendre l’âge de 35 ans pour
rentrer dans le système FNSEA...
En 1957 l’Europe se
construit avec la création de la CEE. La FNSEA en profite pour
changer leur stratégie. Blondel, laisse les rennes aux JA et passe
la présidence de la FNSEA... aux éleveurs «Debatisse» à
condition de lui laisser la liberté dans les responsabilités
Européennes CEE.
Blondel et ses
successeurs négocierons les grands projets de prime et de maitrise
du prix des céréales à l’Europe !
Dans le grand ouest, le
syndicat est la FRSEAO (ouest). Deux leadeurs prennent de l’élan
:
Bernard Lambert et
Bernard Tarot. Tous deux de gauche. Le projet des Offices Fonciers
leur tient à cœur. Bernard Lambert se présente aux élections
législatives et sera élu député en Loire-Atlantique Bernard
Tarot est président du CNJA. Il perd les élections (score à 48%.)
battu par Debatisse soutenu par les céréaliers.
On revient en 1960, De
Gaule à repris le pouvoir en 1958. Il place Pisani (ami de Lambert)
au
Ministère de
l’Agriculture. De Gaule favorise le CNJA car il est toujours
opposé à la FNSEA.
Lambert est à cette
époque, président de la CAVAC (coopérative d’éleveurs de
volailles en intégration).
Avec Pisani de nombreux
jeunes paysans issus de la JAC s’engagent dans le mouvement
coopératif,
les CA des banques, pour
gérer l’agriculture.
C’est avec les lois
d’orientation la mise en place des commissions des structures, des
SAFER
des groupements de
producteurs. Beaucoup de bonnes idées de répartition vers ceux qui
ont le plus besoin. Très
tôt ces mesures vont déplaire aux libéraux de la FNSEA et
l’esprit de répartition ne fera pas long feu.
A partir de Mai 68 la gestion des organismes économiques par des syndicalistes de gauche est remise en cause. C’est incompatible de défendre des travailleurs et de gérer la coop qui les emplois voir les exploite.
Dans les années 70
c’est à l’intérieur du CNJA et de la FNSEA que la gauche
paysanne porte ce débat. En 1973, le syndicat « Paysans
travailleurs » est créé Lambert, comme d’autres, comprennent
qu’il est difficile de changer le système de l’intérieur.
De 1973 à 1981, le syndicat Paysans Travailleurs est très minoritaire...
En 1977, Pisani sort son livre « Utopie Foncière », préfacé par son allier, Michel Rocard qui fait partis à l’époque, des politiques en soif de révolution.
1981...
François Mitterrand
devient Président de la République Française... la gauche prend
le pouvoir !
Rocard est dans le
Gouvernement et c’est une femme ; Edith Cresson, qui devient
Ministre de l’agriculture. Mais très vite Mitterrand cède et
remplace Cresson par Rocard. La gauche au pouvoir, une femme
Ministre de l’agriculture, ça fait trop d’un coup... la FNSEA «
dégomme » Cresson en mobilisant 100 000 paysans dans une manif à
Paris.
Mais Edith Cresson aura tout de même le temps d’imposer le pluralisme syndical !
Mais Edith Cresson aura tout de même le temps d’imposer le pluralisme syndical !
Les «paysans travailleurs» deviennent les «travailleurs paysans» en se regroupant avec plusieurs dissidents FNSEA
Des FDSEA et CDJA de
gauche comme la Loire Atlantique, le puy de dôme deviennent la
FNSP.
Ce qui fait que 2
courants de gauche s’installent dans le paysage syndical de
l’agriculture
Française.
Le 25 juin 1984, Bernard
Lambert perd la vie dans un accident de voiture. C’est le choc !
Les
offices Fonciers sont
alors en pleine négociation entre les 2 syndicats et Rocard qui
n’aura
jamais le courage ou le
poids politique de les mettre en place.
En 1987 le FNSP et
Travailleurs Paysans fusionnent et nait la Confédération Paysanne.
Mais
des suites de ce
mariage, le projet d’Offices Foncier retombe dans les
oubliettes...
Encore aujourd’hui le monde paysan est en lutte. Le paysan bataille toute sa carrière
pour amortir un endettement.
La bataille est d’autant plus rude quand il faut acheter les
terres.
Les moyens de production
s’en trouvent donc plus important, il faut se moderniser,
s’agrandir pour s’en sortir. Ce combat, c’est la fierté du
paysan. De ces mains, il réalise une œuvre et trace sa route vers
la liberté.
Malheureusement cette
bataille rend moins indépendant le paysan. Le jardin familial, la
bassecour, le cochon que l’on engraisse, les conserves que l’on
organise pour l’hiver, etc.
Tout cela prend du
temps, et le paysan n’a plus le temps ! A peine le temps pour des
vacances, les loisirs ou pour du temps libre en famille...
L’agriculture vivrière
n’est plus. Nous sommes aujourd’hui dans un monde de commerce de
marchandises et de matières premières...
Tout cela rentre en
conflit le jour où le paysan cède son activité pour la
transmettre à un jeune. Vendre ses animaux, sa terre, sa ferme...
s’est un peu aussi vendre son âme, sa vie, sa lutte... et sa
fierté de s’être battu toute une vie pour gagner ce sentiment de
liberté !
Et pourquoi vendre son
capital ? Mais pour profiter d’une autre vie, celle qu’il n’a
pas eu le temps de vivre ! Et puis paysan, c’est vivre pauvre pour
mourir riche...
Alors comment ? Comment
peut on aujourd’hui « déposséder » le paysan qui à passé
toute une vie, aux prix de nombreux sacrifices, pour finalement,
éprouver un sentiment amer en fin de carrière...
Car vendre ce capital
est obligatoire s’il veut acheter une maison pour la retraite.
Mais le pas est très dure à franchir, vendre une vie de labeur, ça
n’a pas de prix !
Alors pourquoi vivre une
carrière pour accumuler une richesse dont on devra très vite se
séparer. C’est du capitalisme ça ! Et le paysan ne supporte pas
le capitalisme. Il s’est même battu contre, toute sa vie !
Mais à qui donc
profite le crime ? Et est ce que le programme des Offices Fonciers
n’est pas une opposition au Capitalisme ? Ce Capitalisme qui a
tout joué pour faire échouer pendant de longues années les
tentatives d’expérimentation de ce programme porteur
d’insoumission du monde paysan.
Si le paysan pouvait
mener sa vie sans l’endettement. Sans tant de sacrifices. Pour
finalement arriver en fin de carrière avec le sentiment d’être
passé à coté de quelque chose. Peut être que tout simplement, la
qualité de vie des paysans pourrait être considérablement
améliorée si l’endettement n’était plus nécessaire,
obligatoire, vitale... pour survivre.
C’est pourquoi je
pense que le programme de Pisani sur les Offices Fonciers est une
piste de
réflexion enrichissante
pour l’avenir du monde paysan. Mais pas seulement ! Car le jour ou
le monde paysan ne vivra plus sous la contraire, c’est toute la
société qui s’en trouvera gagnante.
Car c’est le paysan
qui fait l’équilibre dans une société !
Mickaël Hardy, école
paysanne 35
–
avril 2014
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